La Polit-Revue: Siliana, « bassin miné » du gouvernement

polit-revue#11

En une semaine de gouvernance désastreuse, le gouvernement Jebali a-t-il définitivement creusé sa tombe ? Une série de décisions toutes plus désastreuses les unes que les autres en matière de choix politiques, sécuritaires et de communication de crise, le condamnent à lâcher du lest en direction de ses alliés et de l’opposition. Au pied du mur, il se résout à partager le pouvoir.

Cas d’école d’une fuite en avant

Si le séisme politique en cours trouve son épicentre à Siliana, sa soudaineté et sa violence sont symptomatiques d’un malaise plus profond et plus large que cette enclave à 130km de la capitale. Symbole de poches de pauvreté devenues des chaudrons depuis l’ancien régime, sans croissance à l’horizon, ne voyant pas venir la moindre retombée de la révolution en matière d’emploi, la bombe à retardement explose, en toute logique.

Mais elle n’explose que lorsque la population locale, les « Ouled Ayar », se sont sentis provoqués. Les nominations verticales et partisanes de gouverneurs sont en effet une autre crise dans la crise, qui couvait depuis plusieurs mois. Obnubilé par le refrain de sa propre « légitimité », le Premier ministre, dans sa répression de la contestation anti Ahmed Ezzine Mahjoubi, a fait preuve dans d’un légalisme qui ne tient aucunement compte d’un contexte révolutionnaire tout aussi légitime.

« Ce gouverneur ne partira plus, il n’y a plus de « dégage », je partirai avant lui s’il le faut ». La phrase de trop de Jebali est aussi maladroite qu’inutile. Il la paye cash mercredi. Lorsque la violence redouble d’intensité, il convoque une conférence de presse jeudi qui restera dans les annales du « worst of » des communicants. Approximatif sur le déroulement des évènements de Siliana et ses localités, menaçant, il invoquera d’obscures « atraf » (littéralement « la main cachée de parties tierces »), les mêmes qu’avaient cités avant lui Ben Ali, Mohamed Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi.

Sur les réseaux sociaux, des plaisantins préfère en rire : le parti « Parties Tierces », « Hezb al Atraf », est créé en guise de réponse ironique à cette diabolisation de la gauche radicale, alors que d’autres dénoncent plus sérieusement une « politisation de la faim ».

Continuant sur sa lancée sur le mode de l’autisme politique, le chef du gouvernement se demandera par ailleurs, incrédule, « ce que fait le chef de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme à Siliana », alors même que de graves exactions et bavures policières sont rapportées notamment par l’équipe Nawaat sur place…

La chevrotine : une bérézina sécuritaire

Image Seif soudani

Plus surréaliste encore fut une intervention de Samir Dilou à l’Assemblée constituante, qui intervenait jeudi sur les évènements de Siliana en sa qualité de porte-parole du gouvernement, en oubliant accessoirement sa qualité de ministre des Droits de l’Homme.

« Visiblement » plus avocat partisan que garant de l’universalisme, il s’évertuera à nier qu’il y ait eu à Siliana des cas de perte totale de la vue des suites de tirs de munitions de chevrotine sur des émeutiers. « As if it makes it better! », réplique-t-on sur twitter. Cela change tout !

Nous nous étions déjà alarmés de l’usage de cette arme dite « non létale » lors de notre couverture des évènements de Douar Hicher, opposant alors des salafistes aux forces de l’ordre. Un officier avait alors expliqué que chaque poste de la Garde nationale disposait d’au moins une arme de ce type, destinée à abattre les chiens errants…

Transformée en laboratoire d’artillerie à ciel ouvert, Siliana la martyr a donc fait les frais d’un incroyable amateurisme dans l’ « expérimentation » de nouveaux compromis, « à mi-chemin entre la force létale et les gaz lacrymogène ».

La précision est d’Ali Laârayedh. Elle confirme une politique répressive réfléchie, sciemment pensée au sein de son ministère. A l’étranger, dans les pays occidentaux, l’incompréhension est totale. L’indignation succède à l’effroi, en découvrant, images à l’appui, les dégâts inhumains infligés à des corps mutilés.

Vendredi le même ministre déclare qu’il ne sera « plus jamais fait usage de la chevrotine ». « Trop peu, trop tard » selon des familles des victimes qui n’ont reçu ni compensation, ni excuses officielles.

Rassemblement de soutien aux habitants de Siliana devant le ministère de l’Intérieur:

Le recours à des brigades d’élite, telles que l’USJN, était-il en outre nécessaire contre des jeunes armés de pierres ? L’usage manifestement disproportionné de la force nécessitera sans doute une commission d’enquête, requise par l’opposition, alors que les Tunisiens attendent toujours les conclusions de la Commission du 9 avril 2012.

Un tournant historique et Marzouki en arbitre

Crédit photo: tunisiedirectinfo

Mais une enquête n’est pas la seule exigence des forces d’opposition cette fois. Sentant le vent tourner, surtout dans la rue où la contestation reprend de plus belle contre une troïka en grande difficulté, les chefs de partis les plus marginalisés par les dernières élections ne relâchent pas la pression.

En embuscade, ils veulent sans plus attendre un gouvernement d’union nationale, restreint, où tous les ténors de l’opposition auront vraisemblablement des portefeuilles ministériels. C’est aussi ce qu’a demandé Moncef Marzouki vendredi, lors d’un discours très tardif, où il tenta de revêtir le burnous du sage, à défaut de celui du contre-pouvoir réel. L’opposition crie victoire, et revendique un mimétisme de la part du président, démenti par la présidence.

Provoquant un tollé dans un premier temps dans les rangs des ministres issus d’Ennahdha, son intervention est en revanche plutôt bien accueillie par Hamadi Jebali qui déclarera le lendemain que « toutes les options sont envisageables ».

Seif Soudani

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